Récit d'une vagabonde, partie 1
La chaleur estivale était accablante et les insectes vrombissaient à l’extérieur des remparts de la grande cité d’Ul’dah. De petites tornades de poussière de sable tourbillonnaient sur les dunes, poussées par le souffle irrégulier du vent.
Les habitants de la cité étaient quand à eux bien à l’abri derrière les hauts murs de pierres, profitant de l’ombre offerte par les rues étroites qui tenaient le soleil assassin en respect. La cité d’Ul’dah, joyau du désert, étendait son faste luxueux et ses couleurs vives à la vue des riches comme des pauvres. A Ul’dah, la plus accablante pauvreté côtoyait la plus scandaleuse des richesses.
Un peu plus haut, sur les toits de pierre frappés par le soleil, la chaleur déformait l’air et offrait une vision presque irréelle à la jeune miqo’te qui y avait trouvé refuge après son menu larcin. T’ewia faisait partie de ceux qui n'avaient rien, un peu comme les réfugiés qui se massaient aux portes de la cité. Elle vivait de petits boulots et chapardait quand elle en avait l’occasion pour agrémenter sa vie et celle des autres mendiants.
La jeune fille reprenait son souffle après une course-poursuite jouée contre deux gardes des Lames de Cuivre. Assise dans un des rares coins d’ombres offerts par les toits de la ville, elle pouvait enfin prendre le temps de contempler le fruit de son forfait : un gros fruit justement, d’une belle couleur orangée et à l’odeur sucrée qu’elle avait dérobé à la terrasse d’une riche demeure. Une fourchette dorée y était encore plantée et elle s’empressa de la mettre dans sa poche avant de s’attaquer à ce fruit réservé à l’élite. C’était peut-être le meilleur fruit qu’elle avait mangé - sans doute parce qu’il était rare et cher, mais aussi car son estomac criait famine depuis trop longtemps. La fourchette se vendrait sans doute bien, ce qui lui promettait quelques bons repas à venir. Elle en jubilait d’avance.
Deux ombres se profilèrent près de sa planque : celles des gardes qui étaient après elle un peu plus tôt. Armure cuivrée étincelante, bandeau protecteur sur les yeux et cimeterre au poing, ils s’avançaient sur le toit brulant et ne tarderaient pas à l’apercevoir. Les doigts et les lèvres encore collantes du jus sucré du fruit, elle laissa échapper un juron avant de décamper en courant de toit en toit dans l’espoir de le semer. Peine perdue, cette fois-ci les gardes semblaient bien décidés à ne pas laisser filer leur proie.
La jeune miqo’te connaissait bien la ville et se dirigea d'instinct vers une petite fenêtre d’aération qui lui avait déjà sauvée la mise par le passé et qui menaient dans un petit silo à grain. Arrivée devant la petite ouverture, elle s’y engouffra… pour rester honteusement bloquée au niveau du bassin, agitant les jambes et cherchant une prise à l’intérieur pour se débloquer. Elle avait un peu grandi ces derniers mois, et certains passages n'étaient plus pour elle.
- Rhââââ mais flûte ! Ils ont réduit la fenêtre, c’est pas possible ! Sh’iem* ! (* Grossièreté en Miqo’te qu’il serait malvenu de traduire)
Elle se senti tirée violemment par les pieds, et s’étala de tout son long sur le toit brulant et poussiéreux. Le plus petit des gardes lui tordit un bras derrière le dos, lui calant son genou au creux des hanches pour l’empêcher de bouger, la faisant gémir de douleur.
- Ca y est, je la tiens cette foutue gamine. Depuis le temps que j’en rêvais… c’est bien la dernière fois que tu m’obligeras à courir dans toute la cité, chat de gouttière.
Profitant de sa position, il plaqua le bras de la jeune fille sur la pierre, et leva son cimeterre bien haut. L’autre garde fronça les sourcils et s’approcha.
- Que comptes-tu faire, Van ? Tu ne vas quand même pas tuer une gamine ?
- Qu’elle survive ou pas, j’en ai rien à faire. J’en ai marre de courir après, c’est tout. Ça te gêne si j’lui coupe la main ? Mon père faisait ça quand il attrapait un voleur, et son père avant lui.
- Oui, ça me gêne. Trouve autre chose comme punition. Nous aurons besoin de gens utiles plus tard, pas d’handicapés et de bouches à nourrir en plus.
Le plus petit des gardes pris le temps de la réflexion, pendant que la jeune fille se tortillait, essayant en vain de se libérer.
- Gilles, j’ai une idée. On la revend comme esclave ? Elle ne sera plus dans nos pattes, et on pourrait en tirer un paquet honorable de Gils. On partage les bénéfices 50/50, évidemment. Je connais des marchands qui seraient ravis avec une pareille tigresse.
- Mouais, je préfère ça. C’est plus humain, et plus rentable. Je vais prendre de quoi l’attacher et la bâillonner. Tiens-la bien.
Le plus grand des gardes commençait à défaire sa ceinture pour en faire un lien. La jeune fille se tortillait de plus belle, entendant bien protester.
- Non mais ça va pas ?! C’est illégal ! Vous n’avez pas le droit ! Et… oh et puis merde, reprends-là !
Glissant rapidement sa main dans sa poche, elle s’empara de la précieuse fourchette dorée et la planta avec force dans le pied du garde, les dents effilées traversant le cuir et la chair. Le garde hurla, et T’ewia en profita pour se libérer en renversant l’homme, avant de le gratifier d’un grand coup de pied dans la mâchoire et de filer sans demander son reste. Sa ceinture à la main, Gilles regardait son collègue se tordre de douleur à terre, une fourchette plantée dans le pied. Van cracha une dent en balançant une insulte bien sentie en direction de la jeune fille, qui disparaissait déjà sur un autre toit.
Ce jour-là, de nombreux badauds assurèrent avoir entendu un florilège d’insultes résonner dans les hauteurs pendant une bonne demi-heure, tel l’écho d’une colère divine.